Devons-nous avoir recours à la violence pour avoir la paix ? C'est ce que nous croyons. Ce que nous pensons. Depuis des siècles, dès même le début de notre existence, nous nous battions pour notre survie. Le monde est une guerre interminable à laquelle il n'y aura jamais de vainqueur, même si on se réjouit un moment de ce qu'on pourrait appeler une victoire, au fond nous étions, sommes et serons éternellement perdants, vaincus. Après tout, l'être humain est tel un pantin dans les mains du créateur. Un jouet de plus.
Belle matinée, n'est-ce pas ? Du moins, le temps est plaisant, une boule de feu légèrement cachée par des traces blanches sur un fond turquoise. Cela fait une magnifique fresque vivante que l'on peut contempler toute sa vie.
Je prenais soin de nouer mes couteaux aux ceintures elles-même attachées à mes cuisses et de ranger mes shuriken dans une pochette fixée à une des sangles. Puis je me dirigeais tout droit vers cet amas d'arbres, la forêt, pour me détendre un peu au calme de la foule.
Le vent était frais, la fraicheur des bois s'amplifiait, c'était parfait. Enfin, j'aperçus les premiers feuillus qui me forçait à m'hasarder dans leurs griffes, une invitation qui ne pouvait pas être refusée. Alors, sans retenue, imprudemment, je m'aventurais dans ce décor merveilleux. Ces rayons de soleil qui essayaient inutilement de percer la carapace des feuilles opaques des imposants chênes ou l'agglomération d'épines des grands pins. Après quelques pas dans cet autre monde, je m'arrêtais pour m'allonger sur le sol et observer, admirer mais surtout rêver.
Avoir cette sensation de liberté.
Un des pins sylvestres était immense, sûrement un des plus grands, il me fascinait, on devait avoir une belle vue de là-haut. Je me relevais et ôtais une de mes gaines pour aller vérifier si mon hypothèse était exacte. Alors, en quelques pas je m'élançais vers le monstre avant de sauter sur le tronc, enroulant la ceinture autour de celui-ci pour me hisser jusqu'au sommet. Mon escalade aurait pu être tranquille si je ne me manquais pas de tomber en glissant de l'arbre sur quelques mètres. Le premier réflexe est de regarder vers le bas, c'est à ce moment que vous vous rendez compte de la hauteur démesurée à laquelle vous êtes. Une quinzaine de mètres. Il fallait être fou pour grimper aussi haut sans protection. Et je l'étais.
Quelques instants plus tard, je réussis sans autres problèmes à atteindre la cime, je dominais désormais cet univers. J'avais une vue sur tout le pensionnat, je pouvais même voir la ville de mon perchoir. Je m'asseyais sur une des branches, de préférence une épaisse et je restais là pendant plus d'une heure pour regarder cet unique panorama. Je devais être à environ une vingtaine de mètres du sol. La mort ne tenait qu'à un mauvais pas, une simple chute.
Venu le moment de redescendre sur terre, ma sangle était prête, alors inconsciemment je sautais pour atterrir sur l'écorce de l'arbre tout en ceinturant le pin et glisser en rappel. Je voyais défilé les ramures, l’altitude baissait et le sol se rapprochait tel un ascenseur. Ma vitesse s'accroissait rapidement, trop rapidement.
A une dizaine de pieds du sol, je dégainais brusquement un de mes couteaux pour amortir ma descente en le plantant d'un coup sec au cœur de l'arbre. La lame transperça le tronc qui s'ouvrit en deux semblablement à une plaie dû à la rapidité de ma chute, laissant apparaître une sève jaunâtre, gluante et collante. Le pin saignait, je pouvais l'entendre crier, et pleurer.
J'étais retombée sur mes pieds, sans choc grâce à ma technique d'atterrissage en douceur.
L'après-midi commençait à peine, je rangeais méticuleusement mon arme à sa place spécifique et ligaturait ma gaine, légèrement abîmée, à ma cuisse. Un petit caillou était devant moi, j’eus l'automatisme de tirer dedans pour l'envoyer en direction d'un majestueux buisson épais.
Étrangement, je n'entendis rien à la place de l'habituel bruit du heurt contre la souche. Un son silencieux, bizarre.
Soudainement, un espèce de gros chat sauta hors du buisson, je distinguais là l'allure d'un vieux lynx énervé. Il planta son profond regard dans le mien, engageant ainsi un combat. Alors, sans perdre une seconde, le sourire aux lèvres, je me mettais en position de lutte puisque le duel venait d'ouvrir ses portes...
- Je t'attends, chuchotais-je à mon adversaire inattendu.
Je me croyais seule, nous nous croyons seuls. Mais étions-nous seulement deux, ici ?